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montagne et endurcis au froid, l’enduroient mieux que moi, m’accusoient de délicatesse ; et, dans une chambre où la bise siffloit par les fentes des vitres, ils trouvoient ridicule que je fusse transi, et se moquoient de mes frissons. Je me reprochois à moi-même d’être si frileux et si foible, et j’allois avec eux sur la glace, au milieu des neiges, m’accoutumer, s’il étoit possible, aux rigueurs de l’hiver ; je domptois la nature, je ne la changeois pas, et je n’apprenois qu’à souffrir. Ainsi, quand j’arrivois chez moi, et que, dans un bon lit ou au coin d’un bon feu, Je me sentois tout ranimé, c’étoit pour moi l’un des momens les plus délicieux de la vie ; jouissance que la mollesse ne m’auroit jamais fait connoître.

Dans ces vacances de Noël, ma bonne aïeule, en grand mystère, me confioit les secrets du ménage. Elle me faisoit voir, comme autant de trésors, les provisions qu’elle avoit faites pour l’hiver : son lard, ses jambons, ses saucisses, ses pots de miel, ses urnes d’huile, ses amas de blé noir, de seigle, de pois et de fèves, ses tas de raves et de châtaignes, ses lits de paille couverts de fruits. « Tiens, mon enfant, me disoit-elle, voilà les dons que nous a faits la Providence : combien d’honnêtes gens n’en ont pas reçu autant que nous ! et quelles grâces n’avons-nous pas à lui rendre de ses faveurs ! »