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MÉMOIRES DE MARMONTEL

si durement abolie, jamais jésuite ne le fut moins dans le cœur que le P. Balme[1] (c’étoit le nom de ce régent). Un caractère ferme et franc étoit le sien ; l’impartialité, la droiture, l’inflexible équité qu’il portoit dans sa classe, et une estime noble et tendre qu’il marquoit à ses écoliers, lui avoient gagné notre respect et concilié notre amour.

À travers les austères bienséances de son état, sa sincérité naturelle laissoit percer des traits de force et de fierté qui auroient mieux convenu au courage d’un militaire qu’à l’esprit d’un religieux. Je me souviens qu’un jour l’un de nos condisciples, tête rustique et dure, lui ayant mal répondu, il s’élança brusquement de sa chaire, et, arrachant avec éclat un ais de chêne du plancher de la classe : « Malheureux, lui dit-il en le levant sur lui, je ne fais point donner le fouet en rhétorique ; mais j’assomme l’audacieux qui m’ose manquer de respect. » Ce genre de correction nous plut infiniment ; nous lui sûmes gré de l’effroi dont nous avoit frappés le bruit de la planche brisée, et nous vîmes avec plaisir l’insolent, à genoux sous cette espèce de massue, demander humblement pardon.

Tel étoit l’homme à qui j’avois à rendre compte de ce qui venoit de se passer. Je l’observois en le

  1. Le P. Jean-Pierre Balme professa la rhétorique à Mauriac de 1737 à 1739. En 1742, il partit pour les Antilles.