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MÉMOIRES DE MARMONTEL

sommes libres, et l’homme altier, l’homme cruel, l’homme féroce, est confondu. »

Ma harangue avoit excité de grands mouvemens d’indignation ; mais la conclusion fit plus d’effet que tout le reste. Jamais péroraison n’entraîna les esprits avec tant de rapidité. « Oui, clôture ! vacance ! me répondit par acclamation la très grande pluralité, et jurons tous, avant de sortir de la classe, jurons sur cet autel (car il y en avoit un) de n’y plus remettre les pieds. »

Après que le serment eut été prononcé, je repris la parole. « Mes amis, ce n’est point, leur dis-je, en libertins ni en esclaves fugitifs que nous devons sortir de cette classe ; que le préfet ne dise pas que nous nous sommes échappés : notre retraite doit se faire paisiblement et décemment ; et, pour la rendre plus honorable, je propose de la marquer par un acte religieux. Cette classe est une chapelle ; rendons-y grâce à Dieu, par un Te Deum solennel, d’avoir acquis et conservé, durant le cours de nos études, la bienveillance du collège et l’estime de nos régens. »

Au même instant je les vis tous se ranger autour de l’autel ; et, au milieu d’un profond silence, l’un de nos camarades, Valarché, dont la voix le disputoit à celle des taureaux du Cantal, où il étoit né, entonna l’hymne de louanges ; cinquante voix lui répondirent, et l’on imagine sans peine quel