Page:Marmontel - Mémoires de Marmontel - M. Tourneux, Lib. des biolio., 1891, T1.djvu/62

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
30
MÉMOIRES DE MARMONTEL

débattoit sous sa main, et tout d’un temps j’ouvris la porte et je m’enfuis. Il s’élança pour m’attraper ; mais il manqua sa proie, et j’en fus quitte pour un pan d’habit déchiré.

Je me réfugiai dans ma classe, où le régent n’étoit pas encore. Mon habit déchiré, mon trouble, la frayeur, ou plutôt l’indignation dont j’étois rempli, me tinrent lieu d’exorde pour m’attirer l’attention. « Mes amis, m’écriai-je, sauvez-moi, sauvez : vous des mains d’un furieux qui nous poursuit, C’est mon honneur et c’est le vôtre que je vous recommande et que je vous donne à garder : peu s’en est fallu que cet homme injuste et violent, ce P. By, ne vous ait fait en moi le plus indigne outrage en flétrissant du fouet un rhétoricien ; il n’a pas même daigné me dire de quoi il vouloit me punir ; mais, aux cris des enfans qu’il faisoit écorcher, j’ai entendu qu’il s’agissoit d’avoir détraqué une horloge, accusation absurde et dont il sent la fausseté ; mais il aime à punir, il aime à s’abreuver de larmes ; et l’innocent et le coupable, tout lui est égal, pourvu qu’il exerce sa tyrannie. Mon crime, à moi, mon crime ineffaçable, et qu’il ne peut me pardonner, est de n’avoir jamais voulu vous trahir pour lui plaire, et d’avoir mieux aimé endurer ses rigueurs que d’y exposer mes amis. Vous avez vu avec quelle obstination il s’est efforcé, depuis trois ans, à faire de moi l’es-