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aussi sec, aussi aigre que l’autre étoit liant et doux. Sans beaucoup d’esprit, ni, je crois, beaucoup de savoir, Decebié ne laissoit pas de mener assez bien sa classe. Il avoit singulièrement l’art d’exciter notre émulation en nous piquant de jalousie. Pour peu qu’un écolier inférieur eût moins mal fait que de coutume, il l’exaltoit d’un air qui sembloit faire craindre aux meilleurs un nouveau rival. Ce fut dans cet esprit que, rappelant un jour certaine amplification qu’un écolier médiocre passoit pour avoir faite, il nous défia tous de faire jamais aussi bien. Or, on savoit de quelle main étoit cette amplification si excessivement vantée. Le secret en étoit gardé, car il étoit sévèrement défendu dans la classe de faire le devoir d’autrui. Mais l’impatience d’entendre louer à l’excès un mérite emprunté ne put se contenir : « Elle n’est pas de lui, mon père, cette amplification que vous nous vantez tant, s’écria-t-on. — Et de qui donc est-elle ? » demanda-t-il avec colère. On garda le silence. « C’est donc à vous à me le dire », poursuivit-il en s’adressant à l’écolier qui étoit en scène ; et celui-ci, en pleurant, me nomma. Il fallut avouer ma faute ; mais je priai le régent de m’entendre, et il m’écouta. « Ce fut, lui dis-je, le jour

    éditions), né à Aurillac le 20 février 1711, entré dans l’ordre le 6 octobre 1728, professa les humanités à Mauriac de 1736 à 1738. En 1762, il était missionnaire à Aurillac.