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MÉMOIRES DE MARMONTEL

rée. Il faut savoir que les sabots du danseur étoient armés de fer, et que la classe étoit pavée de dalles d’une pierre retentissante comme l’airain. Le préfet, qui faisoit sa ronde, entendoit ce bruit effroyable ; il accouroit, mais dans l’instant le bruit cessoit, tout le monde étoit à sa place ; Toury lui-même, dans son coin, les yeux attachés sur son livre, ne présentoit plus que l’image d’une lourde immobilité. Le préfet, bouillant de colère, venoit à moi, me demandoit la note : la note étoit en blanc. Jugez de son impatience ; ne trouvant personne à punir, il me faisoit porter la peine des coupables par les pensum qu’il me donnoit. Je la subissois : sans me plaindre ; mais autant il me trouvoit docile et patient pour ce qui m’étoit personnel, autant il me trouvoit rebelle et résolu à ne faire jamais de la peine à mes camarades. Mon courage étoit soutenu par l’honneur de m’entendre appeler le martyr, et même quelquefois le héros de ma classe. Il est vrai qu’en seconde la liberté fut moins bruyante, et le ressentiment du préfet parut s’adoucir ; mais, au milieu du calme, je me vis assailli par un nouvel orage.

Mon régent de seconde n’étoit plus ce P. Malosse qui m’avoit tant aimé : c’étoit un P. Decebié[1],

  1. Le P. Ignace Decebié ou de Cebié (on trouve ces deux formes, mais non Cibier, comme le portent les anciennes