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assiduité à l’aller voir tous les matins, m’ayant fait regarder d’abord d’un œil jaloux et méfiant, je me piquai dès lors de me montrer meilleur et plus fidèle camarade qu’aucun de ceux qui m’accusoient de ne pas l’être et qui se défioient de moi. Lors donc que je parvins à être fréquemment le premier de ma classe, grade auquel étoit attaché le triste office de censeur, je me fis une loi de mitiger cette censure ; et en l’absence du régent, pendant la demi-heure où je présidois seul, je commençai par accorder une liberté raisonnable : on causoit, on rioit, on s’amusoit à petit bruit, et ma note n’en disoit rien. Cette indulgence, qui me faisoit aimer, devint tous les jours plus facile. À la liberté succéda la licence, et je la souffris ; je fis plus, je l’encourageai, tant la faveur publique avoit pour moi d’attraits ! J’avois oui dire qu’à Rome les hommes puissans qui vouloient gagner la multitude lui donnoient des spectacles : il me prit fantaisie d’imiter ces gens-là. On me citoit l’un de nos camarades, appelé Toury, comme le plus fort danseur de la bourrée d’Auvergne qui fût dans les montagnes ; je lui permis de la danser, et il est vrai qu’en la dansant il faisoit des sauts merveilleux. Lorsqu’une fois on eut goûté le plaisir de le voir bondir au milieu de la classe, on ne put s’en passer ; et moi, toujours plus complaisant, je redemandois la bour-