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tique : en hiver, sur la glace, au milieu de la neige ; dans le beau temps, au loin dans la campagne, à l’ardeur du soleil ; et ni la course, ni la lutte, ni le pugilat, ni le jeu de disque et de la fronde, ni l’art de la natation, n’étoient étrangers pour nous. Dans les chaleurs, nous allions nous baigner à plus d’une lieue de la ville ; pour les petits, la pêche des écrevisses dans les ruisseaux ; pour les grands, celles des anguilles et des truites dans les rivières, ou la chasse des cailles au filet après la moisson, étoient nos plaisirs les plus vifs ; et, au retour d’une longue course, malheur aux champs d’où les pois verts n’étoient pas encore enlevés ! Aucun de nous n’auroit été capable de voler une épingle ; mais dans notre morale il avoit passé en maxime que ce qui se mangeoit n’étoit pas un larcin : Je m’abstenois tant qu’il m’étoit possible de cette espèce de pillage ; mais, sans y avoir coopéré, il est vrai cependant que j’y participois, d’abord en fournissant mon contingent de lard pour l’assaisonnement des pois, et puis en les mangeant avec tous les complices. Faire comme les autres me sembloit un devoir d’état dont je n’osois me dispenser ; sauf à capituler ensuite avec mon confesseur, en restituant ma part du larcin en aumônes.

Cependant je voyois dans une classe au-dessus de la mienne un écolier dont la sagesse et la vertu se conservoient inaltérables, et je me disois à moi--