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Ce bon vieillard étoit, dans ses prières, tourmenté de scrupules pour des distractions dont il se défendoit avec la plus pénible contention d’esprit : c’étoit surtout en disant la messe qu’il redoubloit d’efforts pour fixer sa pensée à chaque mot qu’il prononçoit ; et, lorsqu’il en venoit aux paroles du sacrifice, les gouttes de sueur tomboient de son front chauve et prosterné. Je voyois tout son corps frémir de respect et d’effroi, comme s’il avoit vu les voûtes du ciel s’entr’ouvrir sur l’autel et le Dieu vivant y descendre. Il n’y eut jamais d’exemple d’une foi plus vive et plus profonde : aussi, après avoir rempli ce saint devoir, en étoit-il comme épuisé.

Il se délassoit avec moi par le plaisir qu’il avoit à m’instruire, et par celui que j’avois moi-même à recevoir ses instructions. Ce fut lui qui m’apprit que l’ancienne littérature étoit une source intarissable de richesses et de beautés, et qui m’en donna cette soif que soixante ans d’étude n’ont pas encore éteinte. Ainsi, dans un collège obscur, je me trouvois avoir pour maître un des hommes les plus lettrés qui fussent peut-être au monde ; mais je n’eus pas longtemps à jouir de cet avantage : le P. Bourzes fut transféré, et, six ans après, je le retrouvai dans la maison professe de Toulouse, infirme et presque délaissé. C’étoit un vice bien odieux, dans le régime et les mœurs des