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sement, ni dissipation ; mais, après cette demi-année, familiarisé avec toutes mes règles, ferme dans leur application, et comme dégagé des épines de la syntaxe, je cheminai plus librement. Dès lors je fus l’un des meilleurs écoliers de la classe, et peut-être le plus heureux : car j’aimois mon devoir, et, presque sûr de le faire assez bien, ce n’étoit pour moi qu’un plaisir. Le choix des mots et leur emploi, en traduisant de l’une en l’autre langue, même déjà quelque élégance dans la construction des phrases, commencèrent à m’occuper ; et ce travail, qui ne va point sans l’analyse des idées, me fortifia la mémoire. Je m’aperçus que c’étoit l’idée attachée au mot qui lui faisoit prendre racine ; et la réflexion me fit bientôt sentir que l’étude des langues étoit aussi l’art de démêler les nuances de la pensée, de la décomposer, d’en former le tissu, d’en saisir avec précision les caractères et les rapports ; qu’avec les mots autant de nouvelles idées s’introduisoient et se développoient dans la tête des jeunes gens ; et qu’ainsi les premières classes étoient un cours de philosophie élémentaire bien plus riche, plus étendu et plus réellement utile qu’on ne pense, lorsqu’on se plaint que, dans les collèges, on n’apprenne que du latin.

Ce fut ce travail de l’esprit que me fit observer, dans l’étude des langues, un vieillard à qui mon régent m’avoit recommandé. Ce vieux jésuite, le