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père n’a aucune envie de me laisser continuer mes études ; il ne m’amène ici que par complaisance pour ma mère, et en chemin il m’a déclaré que, si je n’étois pas reçu en quatrième, il me remmèneroit chez lui ; cela me fera bien du tort, et bien du chagrin à ma mère ! Ah ! par pitié, recevez-moi ; je vous promets, mon père, d’étudier tant que dans peu vous aurez lieu d’être content de moi. » Le régent, touché de mes larmes et de ma bonne volonté, me reçut, et dit à mon père de ne pas être inquiet de moi, qu’il étoit sûr que je ferois bien.

Je fus logé, selon l’usage du collège, avec cinq autres écoliers, chez un honnête artisan de la ville ; et mon père, assez triste de s’en aller sans moi, m’y laissa avec mon paquet, et des vivres pour la semaine ; ces vivres consistoient en un gros pain de seigle, un petit fromage, un morceau de lard et deux ou trois livres de bœuf ; ma mère y avoit ajouté une douzaine de pommes. Voilà, pour le dire une fois, quelle étoit toutes les semaines la provision des écoliers les mieux nourris du collège. Notre bourgeoise nous faisoit la cuisine, et pour sa peine, son feu, sa lampe, ses lits, son logement, et même les légumes de son petit jardin qu’elle mettoit au pot, nous lui donnions par tête vingt-cinq sous par mois ; en sorte que, tout calculé, hormis mon vêtement, je pouvois coûter à mon père