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MÉMOIRES DE MARMONTEL

père ; il me portoit en croupe, et le cœur me battoit de joie ; mais il me battit de frayeur quand mon père me dit ces mots : « On m’a promis, mon fils, que vous seriez reçu en quatrième ; si vous ne l’êtes pas, je vous remmène, et tout sera fini. » Jugez avec quel tremblement je parus devant le régent qui alloit décider de mon sort. Heureusement c’étoit ce bon P. Malosse[1] dont j’ai eu tant à me louer : il y avoit dans son regard, dans le son de sa voix, dans sa physionomie, un caractère de bienveillance si naturel et si sensible que son premier abord annonçoit un ami à l’inconnu qui lui parloit.

Après nous avoir accueillis avec cette grâce touchante, et invité mon père à revenir savoir quel seroit le succès de l’examen que j’allois subir, me voyant encore bien timide, il commença par me rassurer ; il me donna ensuite, pour épreuve, un thème : ce thème étoit rempli de difficultés presque toutes insolubles pour moi. Je le fis mal, et après l’avoir lu : « Mon enfant, me dit-il, vous êtes bien loin d’être en état d’entrer dans cette classe ; vous aurez même bien de la peine à être reçu en cinquième. » Je me mis à pleurer. « Je suis perdu, lui dis-je ; mon

  1. Jacques-Antoine Malosse, né au Puy le 14 décembre 1713, entré dans l’ordre le 11 septembre 1729. En 1762, il se retira au Puy.