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Ainsi, dans un ménage où rien n’étoit perdu, de petits objets réunis entretenoient une sorte d’aisance, et laissoient peu de dépense à faire pour suffire à tous nos besoins. Le bois mort dans les forêts voisines étoit en abondance et presque en non-valeur ; il étoit permis à mon père d’en tirer sa provision. L’excellent beurre de la montagne et les fromages les plus délicats étoient communs et coûtoient peu ; le vin n’étoit pas cher, et mon père lui-même en usoit sobrement.

Mais enfin, quoique bien modique, la dépense de la maison ne laissoit pas d’être à peu près la mesure de nos moyens ; et, quand je serois au collège, la prévoyance de mon père s’exagéroit les frais de mon éducation. D’ailleurs, il regardoit comme un temps assez mal employé celui qu’on donnoit aux études : le latin, disoit-il, ne faisoit que des fainéans. Peut-être aussi avoit-il quelque pressentiment du malheur que nous eûmes de nous le voir ravir par une mort prématurée ; et, en me faisant de bonne heure prendre un état d’une utilité moins tardive et moins incertaine, pensoit-il à laisser un second père à ses enfans. Cependant, pressé par ma mère, qui désiroit passionnément qu’au moins son fils aîné fit ses études, il consentit à me mener au collège de Mauriac.

Accablé de caresses, baigné de douces larmes et chargé de bénédictions, je partis donc avec mon