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MÉMOIRES DE MARMONTEL

l’hiver, pour les enfans et pour les bonnes vieilles, les déjeuners les plus exquis. Le troupeau de la bergerie de Saint-Thomas habilloit de sa laine tantôt les femmes et tantôt les enfans ; mes tantes la filoient ; elles filoient aussi le chanvre du champ qui nous donnoit du linge ; et les soirées où, à la lueur d’une lampe qu’alimentoit l’huile de nos noyers, la jeunesse du voisinage venoit teiller avec nous ce beau chanvre, formoient un tableau ravissant. La récolte des grains de la petite métairie assuroit notre subsistance ; la cire et le miel des abeilles, que l’une de mes tantes cultivoit avec soin, étoient un revenu qui coûtoit peu de frais ; l’huile, exprimée de nos noix encore fraîches, avoit une saveur, une odeur, que nous préférions au goût et au parfum de celle de l’olive. Nos galettes de sarrasin, humectées, toutes brûlantes, de ce bon beurre du Mont-Dore, étoient pour nous le plus friand régal. Je ne sais pas quel mets nous eût paru meilleur que nos raves et nos châtaignes ; et en hiver, lorsque ces belles raves grilloient le soir à l’entour du foyer, ou que nous entendions bouillonner l’eau du vase où cuisoient ces châtaignes si savoureuses et si douces, le cœur nous palpitoit de joie. Je me souviens aussi du parfum qu’exhaloit un beau coing rôti sous la cendre, et du plaisir qu’avoit notre grand’mère à le partager entre nous. La plus sobre des femmes nous rendoit tous gourmands.