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que d’amour. Il ne lui reprochoit que son foible pour moi, et ce foible avoit une excuse : j’étois le seul de ses enfans qu’elle avoit nourri de son lait ; sa trop frêle santé ne lui avoit plus permis de remplir un devoir si doux. Sa mère ne m’aimoit pas moins. Je crois la voir encore, cette bonne petite vieille : le charmant naturel ! la douce et riante gaieté ! Économe de la maison, elle présidoit au ménage, et nous donnoit à tous l’exemple de la tendresse filiale : car elle avoit aussi sa mère, et la mère de son mari, dont elle avoit le plus grand soin. Je date d’un peu loin en parlant de mes bisaïeules ; mais je me souviens bien qu’à l’âge de quatre-vingts ans elles vivoient encore, buvant au coin du feu le petit coup de vin et se rappelant le vieux temps, dont elles nous faisoient des contes merveilleux.

Ajoutez au ménage trois sœurs de mon aïeule, et la sœur de ma mère, cette tante qui m’est restée ; c’étoit au milieu de ces femmes et d’un essaim d’enfans que mon père se trouvoit seul : avec très peu de bien tout cela subsistoit. L’ordre, l’économie, le travail, un petit commerce, et surtout la frugalité, nous entretenoient dans l’aisance. Le petit jardin produisoit presque assez de légumes pour les besoins de la maison : l’enclos nous donnoit des fruits ; et nos coings, nos pommes, nos poires, confits au miel de nos abeilles, étoient, durant