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MÉMOIRES DE MARMONTEL

Ce regret de mon père étoit d’un homme sage, et je dois le justifier. J’étois l’aîné d’un grand nombre d’enfans ; mon père, un peu rigide, mais bon par excellence sous un air de rudesse et de sévérité, aimoit sa femme avec idolâtrie. Il avoit bien raison : la plus digne des femmes, la plus intéressante, la plus aimable dans son état, c’étoit ma tendre mère. Je n’ai jamais conçu comment, avec la simple éducation de notre petit couvent de Bort, elle s’étoit donné et tant d’agrément dans l’esprit, et tant d’élévation dans l’âme, et singulièrement, dans le langage et dans le style, ce sentiment des convenances si juste, si délicat, si fin, qui sembloit être en elle le pur instinct du goût. Mon bon évêque de Limoges, le vertueux Coëtlosquet[1], m’a parlé souvent à Paris, avec le plus tendre intérêt, des lettres que lui avoit écrites ma mère en me recommandant à lui.

Mon père avoit pour elle autant de vénération

  1. Jean-Gilles du Coëtlosquet, né au manoir de Kérigou (à deux kilomètres de Saint-Pol-de-Léon), le 15 septembre 1700, évêque de Limoges (1739-1757), précepteur des enfants de France (1758-1771), membre de l’Académie française (1761), en remplacement de l’abbé Sallier, mort à Paris le 21 mars 1784. Il eut pour successeur à l’Académie le marquis de Montesquiou. Voir sur Coëtlosquet l’étude que lui a consacrée M. René Kerviler dans la Bretagne à l’Académie française au XVIIIe siècle (V. Palmé, 1869, in-8).