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sommes, son fils et moi, retrouvés : à Paris sur des routes bien différentes ; mais je lui ai reconnu le même caractère de sagesse et de bienséance qu’il avoit à l’école ; et ce n’a pas été pour moi une légère satisfaction que celle de nommer un de ses enfans au baptême. Revenons à mes premiers ans.

Mes leçons de latin furent interrompues par un accident singulier. J’avois un grand désir d’apprendre, mais la nature m’avoit refusé le don de la mémoire. J’en avois assez pour retenir le sens de ce que je lisois, mais les mots ne laissoient aucune trace dans ma tête ; et, pour les y fixer, c’étoit la même peine que si j’avois écrit sur un sable mouvant. Je m’obstinois à suppléer, par mon application, à la foiblesse de mon organe ; ce travail excéda les forces de mon âge, mes nerfs en furent affectés. Je devins comme somnambule : la nuit, tout endormi, je me levois sur mon séant, et, les yeux entr’ouverts, je récitois à haute voix les leçons que j’avois apprises. « Le voilà fou, dit mon père à ma mère, si vous ne lui faites pas quitter ce malheureux latin » ; et l’étude en fut suspendue. Mais, au bout de huit ou dix mois, je la repris, et, au sortir de ma onzième année, mon maître ayant jugé que j’étois en état d’être reçu en quatrième, mon père consentit, quoiqu’à regret, à me mener lui-même au collège de Mauriac, qui étoit le plus voisin de Bort.