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MÉMOIRES DE MARMONTEL

imposante. Pour toute société, il avoit deux amis, gens estimés dans notre ville. Ils ont vécu ensemble dans la plus paisible intimité, se réunissant tous les jours et tous les jours se retrouvant les mêmes, sans altération, sans refroidissement dans le plaisir de se revoir ; et, pour complément de bonheur, ils sont morts à peu d’intervalle. Je n’ai guère vu d’exemple d’une si douce et si constante égalité dans le cours de la vie humaine.

À cette école, j’avois un camarade qui fut pour moi, dès mon enfance, un objet d’émulation. Son air sage et posé, son application à l’étude, le soin qu’il prenoit de ses livres, où je n’apercevois jamais aucune tache, ses blonds cheveux toujours si bien peignés, son habit toujours propre dans sa simplicité, son linge toujours blanc, étoient pour moi un exemple sensible ; et il est rare qu’un enfant inspire à un enfant l’estime que j’avois pour lui. Il s’appeloit Durant. Son père, laboureur d’un village voisin, étoit connu du mien ; j’allois en promenade, avec son fils, le voir dans son village. Comme il nous recevoit, ce bon vieillard en cheveux blancs ! la bonne crème, le bon lait, le bon pain bis qu’il nous donnoit ! et que d’heureux présages il se plaisoit à voir dans mon respect pour sa vieillesse ! Que ne puis-je aller sur sa tombe semer des fleurs ! Il doit reposer en paix, car de sa vie il ne fit que du bien. Vingt ans après, nous nous