Page:Marmontel - Mémoires de Marmontel - M. Tourneux, Lib. des biolio., 1891, T1.djvu/34

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
2
MÉMOIRES DE MARMONTEL

dre les écueils de la bonne fortune, et à passer avec courage les détroits de l’adversité.

J’ai eu sur eux l’avantage de naître dans un lieu où l’inégalité de condition et de fortune ne se faisait presque pas sentir. Un peu de bien, quelque industrie, ou un petit commerce, formoient l’état de presque tous les habitans de Bort[1], petite ville de Limosin où j’ai reçu le jour. La médiocrité y tenoit lieu de richesse ; chacun y étoit libre et utilement occupé. Ainsi la fierté, la franchise, la noblesse du naturel, n’y étoient altérées par aucune sorte d’humiliation, et nulle part le sot orgueil n’étoit plus mal reçu ni plus tôt corrigé. Je puis donc dire que, durant mon enfance, quoique né dans l’obscurité[2], je n’ai connu que mes égaux ; de là peut-être un peu de roideur que j’ai eue

  1. Bort, chef-lieu de canton de l’arrondissement, et à trente kilomètres sud-est d’Ussel(Corrèze), sur la Dordogne. Les concrétions basaltiques connues sous le nom d’orgues de Bort sont une des curiosités de ce beau pays, fréquenté depuis quelques années seulement par les touristes.
  2. À cette allusion beaucoup trop rapide et discrète, il est permis aujourd’hui d’opposer des documents positifs. M. Ernest Rupin a retrouvé et publié l’extrait baptistaire d’où il résulte que Jean-François Marmontel, né le 11 juillet 1723 et baptisé le surlendemain, était fils de Martin Marmontel, tailleur d’habits, originaire d’Auvergne, et de Marianne Gourdes, native de Bort. La notice de M. Rupin, publiée dans le Bulletin de la Corrèze (tome IV, 1882), a été tirée à part ; elle est ornée d’un portrait gravé à l’eauforte par M. Ad. Lalauze.