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LA RÉVOLUTION RUSSE

après avoir sauvé le matériel de l’église, essaye d’arracher à l’incendie le pauvre mobilier de la prison. Une literie misérable s’étale le long de la chaussée, pêle-mêle avec les piquets pour tentes militaires que fabriquaient les prisonniers. On jette buffets et armoires par les fenêtres, sans en retirer la vaisselle qui se brise avec fracas sur le pavé ! Hilarité de la foule dont tout ce bruit accentue le triomphe !…

— Comme c’est gai, là-bas ! tout brûle… disait tout à l’heure un matelot.

Pour moi, l’impression est sinistre, mais grandiose. Un énorme triangle de feu se dessine sur la nuit : à gauche, la prison brûle, à droite le poste de police brûle, et là-bas, formant le sommet du triangle, rougeoie et s’embrase le palais d’un Allemand, le comte Frédéricks, ministre de la Cour, que le peuple incendie après l’avoir pillé. Encadrés dans ce triangle fulgurant, les ponts sur les canaux se détachent avec une intensité fantastique. La neige rosit, comme sous les reflets d’une aurore boréale ; l’immense caserne de la Baltique, en briques roses, semble un brasier où brûlent des rubis…