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UNE SEMAINE D’OURAGAN RÉVOLUTIONNAIRE

fait analogue s’est produit à la fabrique de tabac, Laferme. Il n’y a eu qu’une victime, mais les ouvriers ont exposé le mort dans la cour de l’usine et invité la foule à défiler devant lui. La surexcitation augmente : des magasins ont été pillés et saccagés. Un de nos amis raconte qu’il a assisté au pillage d’une petite boutique juive. Tandis que la foule se ruait à l’intérieur, un soldat passait, indifférent. Soudain, il avise des casquettes d’uniforme qui avaient encore échappé à la convoitise des pillards. Il s’arrête, quitte la sienne, en essaie tranquillement une autre, puis, comme elle s’adapte parfaitement a son crâne, il jette sa vieille casquette dans la boutique et repart de son même pas tranquille et indifférent !… En pleine Perspective Litieny, un gamin de quatorze ans offrait aux passants, pour un rouble les six douzaines, des boutons de nacre, produit de son vol. Insignifiants en eux-mêmes, ces menus faits prouvent que déjà le moral du peuple s’oblitère : on ne distingue plus le « tien » du « mien », le vol s’étale sans crainte de la punition ; demain, peut-être, tous les instincts vont se déchaîner.