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LA RÉVOLUTION RUSSE

ou de ces richesses du sol dont sa vie entière suffisait à peine à lui faire découvrir une parcelle, de ce trésor de productions intellectuelles, de traditions dont il ignorait jusqu’à l’existence, la patrie, c’était son isba, son mir (commune) et par delà, son tsar. Le tsar tombé, la Russie apparaît comme un grand corps sans âme prêt pour la décomposition. Si la Révolution ne lui rend pas cette âme dont le tsarisme l’a dépossédée peu à peu, s’il ne se rencontre pas un être assez puissant, assez inspiré pour lui insuffler le sentiment du devoir commun, pour lui forger une âme collective, rien ne peut plus la sauver désormais. Vouée à l’anarchie et à l’incohérence, elle complétera de ses propres mains, par le morcellement géographique, l’émiettement moral réalisé par ses tsars. C’est le cas pour elle de faire sienne l’invocation passionnée de notre Musset :

Qui de nous, qui de nous va devenir un Dieu ?

Milioukov a donné sa démission. Le gouvernement ne tardera pas à le suivre. Les journaux publient une lettre du ministre de la justice, Kérensky, et une déclaration du