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Voulez-vous la paix ou la guerre,
Sur vos avis nous savons nous régler :
Pour troubler ou calmer la terre,
Deux beaux yeux n’ont qu’à parler.

Tout est possible à votre art :
Un vieillard
Rajeunit par votre regard.
Pour dompter le cœur d’un Achille,
Pour engager un Hercule à filer,
Et pour rendre un sage imbécile,
Deux beaux yeux n’ont qu’à parler.

Le jugement d’un procès
Au Palais
Ne dépend pas de nos placets :
Que Philis soit notre refuge,
Nous entendrons notre cause appeler ;
Pour faire prononcer un juge,
Deux beaux yeux n’ont qu’à parler.

Un avocat bon latin
Cite en vain
Et Bartole et Jean de Moulin :
On est sourd à son éloquence,
Dès qu’au barreau Philis vient s’installer :
Pour faire pencher la balance,
Deux beaux yeux n’ont qu’à parler.

Oh! que l’on voit à Paris
De commis
Qu’en place les belles ont mis.
Si Cloris le veut, un gros âne
Dans un bureau saura bientôt briller ;
Pour en faire un chef à la douane,
Deux beaux yeux n’ont qu’à parler.

Je ne vais point au vallon
D’Apollon
Quand je veux faire une chanson.
Le beau feu qu’Aminte m’inspire
Vaut bien celui dont ce dieu fait brûler,
Et pour faire parler ma lyre,
Deux beaux yeux n’ont qu’à parler.