Page:Marivaux - Théâtre, vol. II.djvu/551

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Angélique.

Croyez-moi, Dorante, vous estimez trop les biens, et le bon usage que vous faites des vôtres vous excuse ; mais, entre nous, que ferais-je avec un homme de cette espèce-là ? Car la plupart de ces gens-là sont des espèces, vous le savez. L’honnête homme d’un certain état n’est pas l’honnête homme du mien. Ce sont d’autres façons, d’autres sentiments, d’autres mœurs, presqu’un autre honneur ; c’est un autre monde. Votre ami me rebuterait, et je le gênerais.

Dorante.

Ah ! madame, épargnez-moi, je vous prie ; vous m’avez promis d’oublier mon tort, et je compte sur cette bonté-là dans ce moment même.

Angélique.

Pour vous prouver que je n’y songe plus, j’ai envie de vous prier de rester encore avec nous quelque temps ; vous me verrez peut-être incessamment mariée.

Dorante.

Comment, madame ?

Angélique.

J’ai un de mes parents qui m’aime et que je ne hais pas ; qui est actuellement à Paris, où il suit un procès important dont le gain est presque sûr, et qui n’attend que ce succès pour venir demander ma main.

Dorante.

Et vous l’aimez, madame ?

Angélique.

Nous nous connaissons dès l’enfance.