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Dorante.

Dans la triste situation où me met votre indifférence pour moi, je n’ai rien à dire, et je ne sais que soupirer.

La Marquise, tristement.

Une triste situation et des soupirs ! que tout cela est triste ! que vous êtes à plaindre ! mais soupirez-vous quand je n’y suis point, Dorante ? j’ai dans l’esprit que vous me gardez vos langueurs.

Dorante.

Eh ! madame, n’abusez point du pouvoir de votre beauté ; ne vous suffit-il pas de me préférer un rival ? pouvez-vous encore avoir la cruauté de railler un homme qui vous adore ?

La Marquise.

Qui m’adore ! l’expression est grande et magnifique assurément ; mais je lui trouve un défaut, c’est qu’elle me glace ; et vous ne la prononcez jamais que je ne sois tentée d’être aussi muette qu’une idole.

Dorante.

Vous me désespérez ; fut-il jamais d’homme plus maltraité que je le suis ? fut-il de passion plus méprisée ?

La Marquise.

Passion ! j’ai vu ce mot-là dans Cyrus ou dans Cléopâtre. Eh ! Dorante, vous n’êtes pas indigne qu’on vous aime ; vous avez de tout, de l’honneur, de la naissance, de la fortune, et même des agréments. Je dirai même que vous m’auriez peut-être plu ; mais je n’ai jamais pu me fier à votre amour ; je n’y ai point de foi, vous l’exagérez