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Lisette.

Il y a bien des choses dans ce portrait-là. En gros, je te dirai qu’elle est vaine, envieuse et caustique ; elle est sans quartier sur vos défauts, vous garde le secret sur vos bonnes qualités ; impitoyablement muette à cet égard, et muette de mauvaise humeur ; fière de son caractère sec et formidable qu’elle appelle austérité de raison, elle épargne volontiers ceux qui tremblent sous elle, et se contente de les entretenir dans la crainte. Assez sensible à l’amitié, pourvu qu’elle y prime, il faut que son amie soit sa sujette, et jouisse avec respect de ses bonnes grâces : c’est vous qui l’aimez, c’est elle qui vous le permet ; vous êtes à elle, vous la servez, et elle vous voit faire. Généreuse d’ailleurs, noble dans ses façons ; sans son esprit qui la rend méchante, elle aurait le meilleur cœur du monde : vos louanges la chagrinent, dit-elle ; mais c’est comme si elle vous disait : Louez-moi encore du chagrin qu’elles me font.

Frontin.

Ah ! l’espiègle !

Lisette.

Quant à moi, j’ai là-dessus une petite manière qui l’enchante ; c’est que je la loue brusquement, du ton dont on querelle ; je boude en la louant, comme si je la grondais d’être louable : et voilà surtout l’espèce d’éloges qu’elle aime, parce qu’ils n’ont pas l’air flatteur, et que sa vanité hypocrite peut les savourer sans indécence. C’est moi qui l’ajuste et qui la coiffe. Dans les premiers jours je tâchai de faire de mon mieux, je déployai tout mon savoir-faire. Eh ! mais, Lisette, finis donc, me disait-elle, tu y regardes de trop près ;