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Lucile.

Dites-moi ce que c’était à mon âge que l’idée de rester fille ? Qui est-ce qui ne se marie pas ? Qui est-ce qui va s’entêter de la haine d’un état respectable, et que tout le monde prend ? La condition la plus naturelle d’une fille est d’être mariée ; je n’ai pu y renoncer qu’en risquant de désobéir à mon père ; je dépends de lui. D’ailleurs, la vie est pleine d’embarras ; un mari les partage ; on ne saurait avoir trop de secours, c’est un véritable ami qu’on acquiert. Il n’y avait rien de mieux que Damis ; c’est un honnête homme ; j’entrevois qu’il m’aurait plu, cela allait de suite ; mais malheureusement vous êtes au monde, et la destination de votre vie est d’être le fléau de la mienne : le hasard vous place chez moi, et tout est renversé ; je résiste à mon père ; je fais des serments, j’extravague, et ma sœur en profite.

Lisette.

Je vous disais tout à l’heure que vous n’aimiez pas Damis ; à présent je suis tentée de croire que vous l’aimez.

Lucile.

Eh ! le moyen de s’en être empêchée avec vous ? Eh bien ! oui, je l’aime, mademoiselle ; êtes-vous contente ? Oui, et je suis charmée de l’aimer pour vous mettre dans votre tort et de vous faire taire.

Lisette.

Eh ! mort de ma vie, que ne le disiez-vous plus tôt ? Vous nous auriez épargné bien de la peine à tous, et à Damis qui vous aime, et à Frontin et moi qui nous aimons aussi et qui nous désespérions ; mais laissez-moi faire, il n’y a encore rien de gâté.