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de femmes ; et puis c’est le diable de me refâcher contre elles.

Lélio.

Eh ! mon cher Arlequin, me crois-tu plus exempt que toi de ces petites inquiétudes-là ? Je me ressouviens qu’il y a des femmes au monde, qu’elles sont aimables, et ce ressouvenir ne va pas sans quelques émotions de cœur ; mais ce sont ces émotions-là qui me rendent inébranlable dans la résolution de ne plus voir de femmes.

Arlequin.

Pardi ! cela me fait tout le contraire, à moi ; quand ces émotions-là me prennent, c’est alors que ma résolution branle. Enseignez-moi donc à en faire mon profit comme vous.

Lélio.

Oui-da, mon ami, je t’aime ; tu as du bon sens, quoique un peu grossier. L’infidélité de ta maîtresse t’a rebuté de l’amour ; la trahison de la mienne m’en a rebuté de même ; tu m’as suivi avec courage dans ma retraite, et tu m’es devenu cher par la conformité de ton génie avec le mien et par la ressemblance de nos aventures.

Arlequin.

Et moi, monsieur, je vous assure que je vous aime cent fois plus aussi que de coutume, à cause que vous avez la bonté de m’aimer tant. Je ne veux plus voir de femmes, non plus que vous ; cela n’a point de conscience ; j’ai pensé crever de l’infidélité de Margot. Les passe-temps de la campagne, votre conversation et la bonne nourriture m’ont un peu remis. Je n’aime plus cette Margot ;