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Jacqueline.

Tant mieux ! je t’aime de cette himeur-là, pourvu qu’alle dure ; mais j’ai bian peur que M. Lélio, mon maître, ne consente pas à noute mariage, et qu’il ne me boute hors de chez li, quand il saura que je t’aime ; car il nous a dit qu’il ne voulait point voir d’amourette parmi nous.

Pierre.

Et pourquoi donc ça ? Est-ce qu’il y a du mal à aimer son prochain ? Eh ! morgué ! je m’en vas lui gager, moi, que ça se pratique chez les Turcs ; et si, ils sont bien méchants.

Jacqueline.

Oh ! c’est pis qu’un Turc. À cause d’une dame de Paris qui l’aimait beaucoup, et qui li a tourné casaque pour un autre galant plus mal bâti que li, noute monsieur a fait du tapage. Il li a dit qu’alle devait être honteuse ; alle lui a dit qu’alle ne voulait pas l’être. « Eh ! voilà bian de quoi ! » ç’a-t-elle fait. Et pis des injures : « Vous êtes une indeigne… Et voyez donc cet impertinent !… Et je me vengerai… Et moi, je m’en gausse… » Tant y a qu’à la parfin alle li a farmé la porte sus le nez. Li, qui est glorieux, a pris ça en mal, et il est venu ici pour vivre en harmite, en philosophe ; car velà comme il dit. Et depuis ce temps, quand il entend parler d’amour, il semble qu’en l’écorche comme une anguille. Son valet Arlequin fait itou le dégoûté. Quand il voit une fille à droite, ce drôle de corps se baille les airs d’aller à gauche, à cause de queuque mijaurée de chambrière qui li a, à ce qu’il dit, vendu du noir.

Pierre.

Quien, véritablement, c’est une piquié que ça ;