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Le Chevalier.

Aussi aurait-elle bien du pouvoir sur moi : si je la trouvais, personne au monde n’y serait plus sensible ; j’ai le cœur fait pour elle ; mais où est-elle ? Je m’imaginais l’avoir trouvée, me voilà détrompé, et ce n’est pas sans qu’il en coûte à mon cœur.

La Marquise.

Peut-on de reproche plus injuste que celui que vous me faites ! De quoi vous plaignez-vous, voyons ? d’une chose que vous avez rendue nécessaire ; une étourdie vient vous proposer ma main, vous y avez de la répugnance, à la bonne heure, ce n’est point là ce qui me choque ; un homme qui a aimé Angélique peut trouver les autres femmes bien inférieures, elle a dû vous rendre les yeux très difficiles ; et d’ailleurs tout ce qu’on appelle vanité là-dessus, je n’en suis plus.

Le Chevalier.

Ah ! madame, je regrette Angélique, mais vous m’en auriez consolé, si vous aviez voulu.

La Marquise.

Je n’en ai point de preuve ; car cette répugnance dont je ne me plains point, fallait-il la marquer ouvertement ? Représentez-vous cette action-là de sang-froid ; vous êtes galant homme, jugez-vous, où est l’amitié dont vous parlez ? Car, encore une fois, ce n’est pas de l’amour que je veux, vous le savez bien, mais l’amitié n’a-t-elle pas ses sentiments, ses délicatesses ? L’amour est bien tendre, chevalier ; eh bien, croyez qu’elle ménage avec encore plus de scrupule que lui les intérêts de ceux qu’elle unit ensemble. Voilà le portrait que je m’en suis toujours fait, voilà comme je la sens,