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La Marquise.

Eh ! laissez-moi, je dois soupirer toute ma vie.

Lisette.

Vous devez, dites-vous ? Oh ! vous ne payerez jamais cette dette-là ; vous êtes trop jeune, elle ne saurait être sérieuse.

La Marquise.

Eh ! ce que je dis là n’est que trop vrai : il n’y a plus de consolation pour moi, il n’y en a plus ; après deux ans de l’amour le plus tendre, épouser ce que l’on aime, ce qu’il y avait de plus aimable au monde, l’épouser, et le perdre un mois après !

Lisette.

Un mois ! c’est toujours autant de pris. Je connais une dame qui n’a gardé son mari que deux jours ; c’est cela qui est piquant.

La Marquise.

J’ai tout perdu, vous dis-je.

Lisette.

Tout perdu ! Vous me faites trembler : est-ce que tous les hommes sont morts ?

La Marquise.

Eh ! que m’importe qu’il reste des hommes ?

Lisette.

Ah ! madame, que dites-vous là ? Que le ciel les conserve ; ne méprisons jamais nos ressources.

La Marquise.

Mes ressources ! À moi, qui ne veux plus m’occuper que de ma douleur ! moi, qui ne vis presque plus que par un effort de raison !