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Le Prince.

Cela est impossible ; je suis ravi, je suis enchanté ; je ne peux pas vous répéter cela autrement.

Flaminia.

Je présume beaucoup du rapport singulier que vous m’en faites.

Le Prince.

Si vous saviez combien, dit-elle, elle est affligée de ne pouvoir m’aimer, parce que cela me rend malheureux et qu’elle doit être fidèle à Arlequin !… J’ai vu le moment où elle allait me dire : « Ne m’aimez plus, je vous prie, parce que vous seriez cause que je vous aimerais aussi. »

Flaminia.

Bon ! cela vaut mieux qu’un aveu.

Le Prince.

Non, je le dis encore, il n’y a que l’amour de Silvia qui soit véritablement de l’amour. Les autres femmes qui aiment ont l’esprit cultivé ; elles ont une certaine éducation, un certain usage ; et tout cela chez elles falsifie la nature. Ici c’est le cœur tout pur qui me parle ; comme ses sentiments viennent, il me les montre ; sa naïveté en fait tout l’art, et sa pudeur toute la décence. Vous m’avouerez que tout cela est charmant. Tout ce qui la retient à présent, c’est qu’elle se fait un scrupule de m’aimer sans l’aveu d’Arlequin ? Ainsi, Flaminia, hâtez-vous. Sera-t-il bientôt gagné, Arlequin ? Vous savez que je ne dois ni ne veux le traiter avec violence. Que dit-il ?

Flaminia.

À vous dire le vrai, seigneur, je le crois tout à fait amoureux de moi ; mais il n’en sait rien. Comme