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à fait belle. J’en vois ici de laides qui font si bien aller leur visage, qu’on y est trompé.

Flaminia.

Oui ; mais le vôtre va tout seul, et cela est charmant.

Silvia.

Bon ! moi ! je ne parais rien, je suis toute d’une pièce auprès d’elles ; je demeure là, je ne vais ni ne viens ; au lieu qu’elles, je les vois d’une humeur joyeuse ; elles ont des yeux qui caressent tout le monde ; elles ont une mine hardie, une beauté libre qui ne se gêne point, qui est sans façon ; cela plaît davantage que non pas une honteuse comme moi, qui n’ose regarder les gens et qui est confuse qu’on la trouve belle.

Flaminia.

Eh ! voilà justement ce qui touche le prince, voilà ce qu’il estime, c’est cette ingénuité, cette beauté simple, ce sont ces grâces naturelles. Eh ! croyez-moi, ne louez pas tant les femmes d’ici ; car elles ne vous louent guère.

Silvia.

Qu’est-ce donc qu’elles disent ?

Flaminia.

Des impertinences ; elles se moquent de vous, raillent le prince, lui demandent comment se porte sa beauté rustique. « Y a-t-il de visage plus commun ? disaient l’autre jour ces jalouses entre elles ; de taille plus gauche ? » Là-dessus l’une vous prenait par les yeux, l’autre par la bouche ; il n’y avait pas jusqu’aux hommes qui ne vous trouvaient pas trop jolie ? J’étais dans une colère !