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un argent infini ; c’est un abîme, il se ruine ; demandez-moi ce qu’il y gagne. Quand il me donnerait toute la boutique d’un mercier, cela ne me ferait pas tant de plaisir qu’un petit peloton qu’Arlequin m’a donné.

Flaminia.

Je n’en doute pas ; voilà ce que c’est que l’amour ; j’ai aimé de même, et je me reconnais au peloton.

Silvia.

Tenez, si j’avais eu à changer Arlequin contre un autre, ç’aurait été contre un officier du palais, qui m’a vue cinq ou six fois et qui est d’aussi bonne façon qu’on puisse être. Il y a bien à tirer si le prince le vaut ; c’est dommage que je n’aie pu l’aimer dans le fond et je le plains plus que le prince.

Flaminia, souriant.

Oh ! Silvia, je vous assure que vous plaindrez le prince autant que lui quand vous le connaîtrez.

Silvia.

Eh bien ! qu’il tâche de m’oublier, qu’il me renvoie, qu’il voie d’autres filles. Il y en a ici qui ont leur amant tout comme moi ; mais cela ne les empêche pas d’aimer tout le monde. J’ai bien vu que cela ne leur coûte rien ; mais pour moi, cela m’est impossible.

Flaminia.

Eh ! ma chère enfant, avons-nous rien ici qui vous vaille, rien qui approche de vous ?

Silvia.

Oh ! que si ; il y en a de plus jolies que moi ; et quand elles seraient la moitié moins jolies, cela leur fait plus de profit qu’à moi d’être tout