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homme honteux de dire une impertinence, qu’il adoucit le plus qu’il peut.

La Comtesse.

Non, Colombine, cela ne se peut pas ; tu n’y étais pas ; tu ne lui as pas vu prononcer ces paroles-là ; je t’assure qu’il les a dites d’un ton de cœur attendri. Par quel esprit de contradiction veux-tu penser autrement ? J’y étais ; je m’y connais, ou bien Lélio est le plus fourbe de tous les hommes ; et s’il ne m’aime pas, je fais vœu de détester son caractère. Oui, son honneur y est engagé ; il faut qu’il m’aime, ou qu’il soit un malhonnête homme ; car il a donc voulu me faire prendre le change ?

Colombine.

Il vous aimait peut-être, et je lui avais dit que vous pourriez l’aimer ; mais vous vous êtes fâchée, et j’ai détruit mon ouvrage. J’ai dit tantôt à Arlequin que vous ne songiez nullement à lui, que j’avais voulu flatter son maître pour me divertir, et qu’enfin M. Lélio était l’homme du monde que vous aimeriez le moins.

La Comtesse.

Et cela n’est pas vrai. De quoi vous mêlez-vous, Colombine ? Si M. Lélio a du penchant pour moi, de quoi vous avisez-vous d’aller mortifier un homme à qui je ne veux point de mal, que j’estime ? Il faut avoir le cœur bien dur pour donner du chagrin aux gens sans nécessité ! En vérité, vous avez juré de me désobliger.

Colombine.

Tenez, madame, dussiez-vous me quereller, vous aimez cet homme à qui vous ne voulez point de mal. Oui, vous l’aimez.