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nous répondit un suisse ou un portier, je ne sais plus lequel des deux. Elle y logeait il y a environ deux ans ; mais depuis que M. le marquis est mort, son fils a vendu la maison à mon maître qui l’occupe à présent.

M. le marquis est mort ! m’écriai-je toute troublée, et même saisie d’une certaine épouvante que je ne devais pas avoir ; car, dans le fond, que m’importait la mort de ce beau-père qui m’était inconnu, à qui je n’avais jamais eu la moindre obligation, et sans lequel au contraire ma mère ne m’aurait pas vraisemblablement oubliée autant qu’elle avait fait ?

Cependant en apprenant qu’il ne vivait plus, et qu’il avait un fils marié, je craignis pour ma mère, qui m’avait laissée ignorer tous ces événements ; le silence qu’elle avait gardé là-dessus m’alarma ; j’aperçus confusément des choses tristes et pour elle et pour moi ; en un mot, cette nouvelle me frappa, comme si elle avait entraîné mille autres accidents fâcheux que je redoutais, sans savoir pourquoi.

Eh ! depuis quand est-il donc mort ? répondis-je d’une voix altérée. Eh ! mais c’est depuis dix-sept ou dix-huit mois, je pense, reprit cet homme, et six ou sept semaines après avoir marié M. le marquis son fils, qui vient ici quelquefois, et qui demeure à présent à la Place-Royale.

Et la marquise sa mère, lui dis-je encore, loge-t-elle avec lui ? Je ne crois pas, me répondit-il ; il me semble avoir entendu dire que non ; mais vous n’avez qu’à aller chez lui pour apprendre où elle est ; apparemment on vous en informera.

Eh bien ! me dit alors madame Darcire, il n’y a qu’à retourner au logis, et nous irons à la Place-Royale après dîner, d’autant plus que j’ai moi-même affaire de ces côtés-là. Comme vous voudrez, lui répondis-je d’un air inquiet et agité ; et nous revînmes à la maison.

Vous voilà bien rêveuse, me dit en chemin madame Darcire ; à quoi pensez-vous donc ? Est-ce la mort de votre beau-père qui vous afflige ?

Non, lui dis-je, je ne pourrais en être touchée que pour