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observations clandestines que je faisais sur lui ; il n’aurait pas été modeste de paraître soupçonner l’attrait qui l’attirait ; et d’ailleurs j’aurais tout gâté si je lui avais laissé apercevoir que je comprenais ces petites façons : cela m’aurait obligée moi-même d’en faire davantage, et peut-être aurait-il rougi des siennes : car le cœur est bizarre ; il y a des moments où il est confus et choqué d’être pris sur le fait quand il se cache ; cela l’humilie : et ce que je dis là, je le sentais par instinct.

J’agissais donc en conséquence ; de sorte qu’on pouvait bien croire que la présence de Valville m’embarrassait un peu, mais simplement à cause qu’il me voyait, et non pas à cause qu’il aimait à me voir.

Dans quel endroit sentez-vous du mal ? me disait le chirurgien, en me tâtant. Est-ce là ? Oui, lui répondis-je, en cet endroit même. Aussi est-il un peu enflé, ajoutait Valville en y mettant le doigt d’un air de bonne foi. Allons, ce n’est rien que cela, dit le chirurgien : il n’y a qu’à ne pas marcher aujourd’hui ; un linge trempé dans de l’eau-de-vie et un peu de repos vous guériront. Aussitôt le linge fut apporté avec le reste ; la compresse fut mise, on me chaussa, le chirurgien sortit, et je restai seule avec Valville, à l’exception de quelques domestiques qui allaient et venaient.

Je me doutai bien que je serais là quelque temps, et qu’il voulait me retenir à dîner ; mais je ne devais pas paraître m’en douter

Après toutes les obligations que je vous ai, lui dis-je, oserais-je encore vous prier, monsieur, de m’envoyer chercher une chaise, ou quelque autre voiture qui me mène chez moi ! Non, mademoiselle, me répondit-il, vous n’irez pas sitôt chez vous, on ne vous y reconduira que dans quelques heures ; votre chute est toute récente, on vous a recommandé de vous tenir en repos, et vous dînerez ici. Tout ce qu’il faut faire, c’est d’envoyer dire où vous êtes, afin qu’on ne soit point en peine de vous.

Et il le fallait effectivement ; car mon absence allait alar-