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que si les vices et les ridicules rapetissent l’homme, la raison seule et la vertu lui conservent ou lui rendent sa grandeur et sa dignité originelles. Cette pensée est mise en action, et développée dans un dialogue étincelant d’esprit et de malice , où les travers des différentes conditions de la société sont assez gaîment effleurées ; des auditeurs bienveillans, charmés de ce qu’ils entendaient, ne s’occupaient guère de l’illusion nécessaire à la scène ; ils s’accordaient tous à pronostiquer un triomphe ; la chute fut complète ; elle devait l’être. Ceux mêmes qui avaient applaudi l’ouvrage dans les salons ne furent probablement point les derniers à rétracter leur jugement , non sur le mérite réel de l’ouvrage , mais sur l’effet présumable de la représentation ; ils avaient sous les yeux la cause de leur méprise ; il leur était impossible de se la dissimuler.

Huit Européens sont jetés par un naufrage dans l’île de la Raison comme cette île n’est soumise qu’à la puissance morale dont elle tire son nom , tous les indigènes y ont à peu près la même taille ; c’est un effet naturel du sol que la stature s’agrandisse ou diminue à proportion que l’on est plus ou moins raisonnable ; une faute , un ridicule, une folie, vous enlèvent à l’instant quelques pouces de hauteur, et on ne les rattrape que par un retour sincère à la droiture et au bon sens. Nos Eurropéens sont à peine descendus dans l’île , que leur taille devient imperceptible ; ce sont de véritables Lilliputiens. Étonnés de leur métamorphose , ils apprennent du gouverneur le moyeu de revenir à leur première forme : il s’agit de renoncer à leurs mauvaises habitudes, d’abjurer les préjugés de la vanité et de l’orgueil, de déraciner les vices dont leur âme est souillée : les deux femmes (la Comtesse et Spinette sa suivante) cesseront d’être coquett es, jalouses, médisantes ; le médecin n’exercera plus une