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ÉRASTE

Vous lui donnez un terme bien long.

MADEMOISELLE ARGANTE

Hélas ! je me trompais, c’est dans quatre ans que je voulais dire. Qu’il ne s’impatiente pas, au moins ; car je lui veux du bien, pourvu qu’il se tienne tranquille : s’il était pressé, je lui en donnerais pour un siècle. Qu’il me ménage, et qu’il soit docile, entendez-vous, Monsieur ? Ne manquez pas aussi de l’assurer de mon estime. Sait-il aimer ? a-t-il des sentiments, de la figure ? est-il grand, est-il petit ? On dit qu’il est chasseur ; mais sait-il l’histoire ? Il verrait que la chasse est dangereuse. Actéon y périt pour avoir troublé le repos de Diane Hélas ! si l’on troublait le mien, je ne saurais que mourir. Mais à propos d’Éraste, me ferez-vous son portrait ? J’en suis curieuse.


ÉRASTE

, triste et soupirant.

Ce n’est pas la peine, Madame, il me ressemble trait pour trait.

MADEMOISELLE ARGANTE

, le regardant.

Il vous ressemble ! Bon cela, Monsieur.

ÉRASTE

Ma commission est faite, Madame ; je sais vos sentiments, dispensez-vous du désordre d’esprit que vous affectez ; un cœur comme le vôtre doit être libre, et mon ami sera au désespoir de l’extrémité où la crainte d’être à lui vous a réduite. On ne saurait désapprouver le parti que vous avez pris : l’autorité d’un père ne vous a laissé que cette ressource, et tout est permis pour se