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tait pour le sacrifier et pour l’exclure que mademoiselle Argante s’était prêtée à un stratagème concerté entre elle et le rival alors préféré. Eraste paraît : à la première vue, les préjugés de la belle s’évanouissent ; il parle, et le cœur de mademoiselle Argante est subjugué. Pour faire admettre un changement aussi subit, l’auteur a eu l’adresse de représenter la jeune personne comme faiblement éprise de Dorante : celui-ci commence même à la fatiguer de ses poursuites et de ses soupirs langoureux. Cette précaution était indispensable : la négliger eût été absurde ; la prendre, c’est annoncer l’intelligence de l’art.

L’artifice auquel a recours mademoiselle Argante consiste à feindre la folie pour inspirer à Eraste de l’éloignement et du dégoût. Il est probable que Marivaux fut redevable de cette idée a la pièce des Folies amoureuses ; elle servit à son tour de modèle à la Fausse Agnès de Destouches. Mais là, comme dans Regnard, elle est infiniment plus comique et plus développée : d’ailleurs, dans les deux ouvrages qui sont restés au théâtre , la ruse produit l’effet qu’on eu attend ; Albert et M. Desmazures sont congédiés. Ici , au contraire , c’est l’homme contre lequel la batterie est dressée qui triomphe et qui épouse. C’est en ce point que la comédie de Marivaux diffère essentiellement de celle de Regnard et de Destouches ; mais c’est aussi par -là qu’elle est moins plaisante. Toutefois pour juger Marivaux, il faut se placer à son point de vue. Il désirait peindre la puissance de cet instinct involontaire qui porte tout à coup un jeune cœur vers l’objet que le sort lui a mis pour ainsi dire en réserve , sentiment impérieux contre lequel viennent échouer les résolutions en apparence les mieux arrêtées ; et, en considérant la pièce sous ce rapport , on peut dire qu’il a bien fait la seule chose qu’il ait voulu faire.