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J’appelai vainement la raison à mon aide :
Elle irrite l’amour, loin d’y porter remède.
Quand sur ma folle ardeur elle m’ouvrait les yeux,
En rougissant d’aimer, je n’en aimais que mieux.
Je ne me servis plus d’un secours inutile ;
J’attendis que le temps vînt me rendre tranquille :
Je le devins, Égine, et j’ai cru l’être enfin,
Quand j’ai su le retour de ce même Romain.
Que ferai-je, dis-moi, si ce retour funeste
D’un malheureux amour trouve en moi quelque reste ?
Quoi ! j’aimerais encore ! Ah ! puisque je le crains,
Pourrais-je me flatter que mes feux sont éteints ?
D’où naîtraient dans mon cœur de si promptes alarmes ?
Et si je n’aime plus, pourquoi verser des larmes ?
Cependant, chère Égine, Annibal a ma foi,
Et je suis destinée à vivre sous sa loi.
Sans amour, il est vrai, j’allais être asservie ;
Mais j’allais partager la gloire de sa vie.
Mon âme, que flattait un partage si grand,
Se disait qu’un héros valait bien un amant.
Hélas ! si dans ce jour mon amour se ranime,
Je deviendrai bien moins épouse que victime.
N’importe, quelque sort qui m’attende aujourd’hui,
J’achèverai l’hymen qui doit m’unir à lui,
Et dût mon cœur brûler d’une ardeur éternelle,
Égine, il a ma foi ; je lui serai fidèle.

ÉGINE

Madame, le voici.