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LAI DE GRAELENT

repas, le monarque avoit établi une coutume bien singulière. Il faisoit monter la reine sur une estrade ; puis on lui ôtoit son manteau, afin de pouvoir admirer à son aise l’élégance de sa taille et de ses formes. Le monarque s’adressant ensuite à l’assemblée, leur disoit : Seigneurs barons, que vous en semble ? avez-vous jamais vu sur terre une aussi belle reine ? vous ne trouverez pas dans le sexe un objet qui puisse lui être comparé. Alors, tous de louer la souveraine. Plusieurs même, s’adressant au roi, lui affirmèrent que sur terre, il n’avoit paru une femme aussi belle, que la sienne. Les barons dont les esprits étoient échauffés faisoient tous l’éloge de la reine, à l’exception de Graelent qui ne dit pas un mot. Il sourioit même, parce qu’il songeoit à sa mie, et tenoit pour fous les barons qui s’extasioient sur une beauté très-ordinaire. Il avoit la tête baissée, et ne regardoit point. L’œil jaloux de la reine l’observoit. Voyez, dit-elle à son époux, voyez, sire, quel affront je reçois. Il n’est aucun des convives qui ne m’ait donné des louanges, à