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LA COMMUNE

avait dans sa maigreur une grâce, les épaules serrées encore des longues attentes grelottantes, aux queues des boucheries, sous le froid, la neige…

— Des chasseurs à pied, ma belle.

Ils approchaient d’un pas vif, défilaient, bleus et gris. On applaudit. Des marins erraient dans les groupes, le cou rouge dans l’échancrure des cols carrés. Un artilleur tenait un quartier-maître par la taille. L’ouvrière mit ses mains en cornet, lança un aigu :

— Vive l’armée ! Vive la Commune !

La Commune ! c’était devenu peu à peu le cri de la garde nationale presque entière !… L’armée citoyenne, déjà délestée à cette heure du poids mort des riches, partis dès les portes ouvertes, courant à leurs intérèts de famille ou d’affaires, était partagée en deux classes, bourgeoisie et peuple, l’une passive : boutiquiers, employés, gens d’ordre qui ne souhaitaient que les affaires et les habitudes reprises, un tranquille progrès ; l’autre active, faite des ouvriers, les excellents et les pires, et aussi des déclassés, des réfractaires, masse grossie par tous ceux qu’avaient attirés la prospérité du règne, les grands travaux d’Haussmann, et qui, à eux seuls, étaient toute une population, écrasée par la cherté de la vie, sans emploi depuis la guerre.

À tous, unis le 4 septembre pour jeter bas l’Empire, fonder la République, l’annonce des élections municipales avait été une grande joie, leur ajournement une déception cruelle. Paris réclamait le juste droit de se gérer lui-même, de nommer son conseil municipal, sa Commune. Mots différents, même chose. La plupart ne voyaient dans le second qu’un synonyme, beaucoup un terme vague, qui faisait bien, complétait avantageusement celui de République ; quelques-uns seuls en élargissaient le sens, à la mesure de leurs ambitions, ou à l’étendue de leurs rancœurs.

Le cri se prolongeait : « Vive la Commune ! »

Soudain, une bagarre. Des poings s’acharnaient sur un individu, secoué, pris aux bras, à la gorge, et