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LA COCHE

Leur marcher lent monstroit bien que tristesse
Rendoit leurs pieds aggravez de foiblesse.
Lors, quand je vey un si piteux object,
Pensay en moy que c’estoit un subjet
Digne d’avoir un Alain Charretier,
Pour les servir comme elles ont mestier.
Car moy, qui ay trop grande experience,
Povois tresbien juger soubz patience
Leur passion tresextresme estre close.
J’ay maintesfois soustenu telle chose ;
Qui me feit lors desirer de sçavoir
Si pis que moy elles povoient avoir.
En ce desir vers moy les vey venir,
Tousjours leurs yeux contre terre tenir.
Que j’apperceu, quand furent près de moy,
Jetter ruisseaux, dont ne peux ni ne doy
La verité trop estrange celer.
Car je les vey comme un fleuve couler.
Je feiz du bruit, dont elles m’adviserent.
Et l’une et l’autre un petit deviserent ;
Puis, essuyans leurs yeux secretement,
Vindrent vers moy, me disans doucement :
« Il vous seroit, ma Dame, mieux duisant
Parler à nous qu’à ce facheux paysant. »
Mais quand je vey descouvers leurs visages,
Ausquelz Nature avoit fait telz ouvrages
Qu’à leurs beautez nulle autre n’approchoit,