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comédie.

Je le pensais toute seule tenir :
Las, je voy bien que trop folement j’erre.
Il ayme ailleurs : voilà ma mort, ma guerre ;
Je ne le puys souffrir, ne comporter.
Je prie à Dieu qu’un esclat de tonnerre
Sa Dame ou moy puisse tost emporter.
Je ne voy rien pour me reconforter.
Par tout le cerche, et de le voir j’ay crainte.
Car je ne puys, le voyant, supporter
Qu’il ayme ailleurs à bon escient sans feinte.
Pour quelque temps je me suis bien contrainte
De l’endurer, celant ma passion,
Pensant qu’au jour il y ha heure mainte,
Et qu’amour fust jointe à mutation.
Rien n’a servy ma bonne intention,
Je l’ay perdu, : il ha une maistresse
Qui de son cœur prend la possession.
Il est bien vray que le corps seul me laisse.
Son corps sans cœur augmente ma tristesse.
Plus j’en suis près, moins j’y prens de plaisir,
Sy j’en suis loing, mon cœur souffre destresse.
Car de le voir sans cesser j’ay desir
Soit près ou loing, je n’ay que desplaisir.
Et le pis est que mon amour augmente
Tant, que ne scay lequel je dois choisir,
Voir ou non voir, car chacun me tourmente.
Toute la nuict sans dormir me lamente,