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COMPLAINTE POUR UN PRISONNIER.

Au moins orras le pitoyable son
De l’esperit, qui fait son oraison ;
Et gémissant pour mon fait l’interpelle,
Tu l’entendras, car c’est toy qu’il appelle.
Et toy, mon Roy, mon Advocat, mon Prestre,
De qui dépend et ma Vie et mon Estre,
Ma Chair, mon Sang, mon Frere et ma Nature,
Bien que tu sois divine geniture.
Parle pour moy à ton pere et au mien,
Toy, Monseigneur, qui as sentu combien
Est grand le mal de la tentation,
Combien ardent le feu d’affliction ;
Qui as gousté du temps de ton servage
Comme est amer le doloreux breuvage
Que m’a brassé maintenant mon malheur.
O quel tourment, quelle grefve douleur
M’a mys au cœur ceste mixture amere !
Je croy pour vray que de sang de vipere,
De fiel d’Aspic, de poison serpentin
Quelque Megere a composé ce vin.
Toy donc, Seigneur, qui premier en as beu,
Qui sçais que c’est, si onc homme l’a sceu,
Parle pour moy. Pour vray je me confie
De toy, mon Roy ; et mettray sur ma vie
Premierement, que pour ta grand clemence ;
Secondement, que pour l’experience
Que tu as fait de ces espines dures,