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COMPLAINTE

Tu m’as formé comme verre fragile ;
Congnois comment la douleur qui m’oppresse
A souspirer amerement me presse.
Tu feiz jadis une vive fontaine
Dedens mon cœur, qui tousjours estoit pleine,
Là où souvent par singuliere grace
Resplendissoit le lustre de ta face ;
Mais maintenant (qui me tient en malaise)
Tu as mon cœur fait devenir fournaise.
Las ! est ce point quelque brandon d’enfer ?
Quand je serois non de chair, mais de fer,
De diamant, ou d’acier affiné.
Si faudroit il, estant ainsi miné
Dedens ce feu embrasé de ta fouldre,
Qu’en peu de temps me convertisse en pouldre.
Se donc tu as la fournaise allumée,
Et que tu vois en sortir la fumée.
Supporte un peu, ô vray Dieu amyable.
Supporte un peu ce mien cry lamentable.
Las ! Monseigneur, je ne fais nulle doubte
Que seulement s’il te plaist une goutte
Sur moy chetif espandre de ton eau.
En un moment esteindras ce fourneau.
Lors de mon cœur ne sentiras fumer
Un seul regret, un seul souspir amer.
Et si tu veux tenir l’oreille close
A mon gémir, qui suis tant vile chose,