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COMPLAINTE POUR UN PRISONNIER.

Je n’ay pas tort. Car toy seul tu peux dire :
Laissez mon Filz, laissez le, qu’il respire.
Fortune, hola ! Toy seul peux tout acoup
Mettre ta main pour empescher le coup.
Le coup pesant de mon adversité.
Si tu te diz fons de benignité,
Secours, seurté, l’accès et le refuge
De l’affligé, de l’orphelin le juge,
Thresor entier de consolation,
Doy je cercher, sentant l’affliction
Et gref tourment de mon ame contrainte.
Autre que toy à qui faire ma plainte ?
Les huyz de fer, pontsleviz et barriere
Où suis serré me tiennent bien arriere
De mes prochains, freres, sœurs et amys ;
Mais toutesfois, quelque part que sois mys,
L’on ne sçauroit tellement fermer l’huys
Que tu ne sois tout soudain où je suis :
Pourtant à toy qui congnois mon oppresse,
O Dieu bening, ma prière t’addresse.
Et si tu vois parmy mon larmoyer
Que mon parler vienne à se desvoyer,
Outrepassant quelque fois la mesure,
Ne le prens pas, ô Père, pour murmure.
La Chair ne peult, quand son mal luy empire,
Que quelque fois soubz le faix ne souspire.
Congnois comment d’une masse d’argille