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NOTES ET ÉCLAIRCISSEMENTS

382-4) parle d’une sœur de son père, Louise de Bourdeille, filleule du Roi, élevée à la Cour, près de la Reine Anne, & morte à seize ans. Un long passage est tout à fait dans le sens du conte de la Reine de Navarre :

« Par cas, un Père Cordelier, qui prêchoit ordinairement devant la Reyne, en devint tellement amoureux qu’il en estoit perdu en toute contenance & quelquefois en ses sermons se perdoit quand il se mettoit sur les beautez des saintes vierges du temps passé, jettant toujours quelque mot sur la beauté de madicte tante, sans oublier les doux regards qu’il fichoit sur elle, & quelquefois en la chambre de la Reyne prenoit un grand plaisir de l’arraisonner, non de mots d’amour pourtant, car il y fust allé du fouet, mais d’autres mots umbragés tendans à cela.

« Ma tante n’approuvoit nullement ses discours & en tint quelques propos à la Gouvernante d’elle & de ses compaignes. La Reyne le sçeut, qui ne le put croire, à cause de l’habit & saincteté de l’homme, & pour ce coup dissimula jusques à un vendredy sainct qu’il prescha la Passion à l’accoustumée devant la Reyne &, d’autant que les Dames & Filles estoient placées & assises devant le Beau Père, comme est l’ordinaire, & qu’elles se représentoient à plein devant luy, & par conséquent ma tante, le Beau Père pour l’introït & thême de son sermon, il commença à dire : « Pour vous, belle nature humaine, & c’est pour vous pour qui aujourd’hui j’endure, dit à un tel jour Nostre Seigneur Jésus Christ », &, enfilant son sermon, il fait rapporter toutes les douleurs, maux & passions que Jésus Christ endura à sa mort pour nature humaine & à la croix, à ceux & celles qu’il enduroit pour celles de ma tante, mais c’estoit avec des mots si couverts & paroles si umbragées que les plus sublimes y eussent perdu leurs sens. Quelle méditation pourtant ! La Reyne Anne, qui estoit très habile & d’esprit & de jugement, mordit là dessus &, en ayant consulté les vrayes paroles de ce sermon, tant avec aucuns Seigneurs & Dames que savantes gens qui y assistoient, trouvèrent que le sermon estoit très escandaleux & le Père Cordelier très punissable, ainsi qu’il fut en secret très bien chastié & fouetté & puis chassé sans faire escandale. Voilà la réponse des amours de ce Monsieur le Cordelier, & ma tante bien vengée de luy, duquel elle estoit souvent importunée de parler à luy ; car de ce temps il ne falloit pas, sur peine, desdire ny refuser la parole à telles gens, que l’on croyoit qu’ils ne parloient que de Dieu & du salut de l’ame. » — M.