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VIJe JOURNÉE

morir tous deux », & avecq ces parolles geta tant de larmes & de criz que le Duc eut grand peur qu’elle perdist son fruict, par quoy, la prenant entre ses bras, la pria de luy dire que c’estoit qu’elle vouloyt & qu’il n’avoit rien que ce ne fust pour elle.

« Ha, Monsieur », ce luy respondit elle en pleurant, « quelle espérance puis je avoir que vous fassiez pour moy une chose difficille quant la plus facille & raisonnable du monde vous ne la voulez pas faire, qui est de me dire l’amye du plus meschant serviteur que vous eustes oncques. Je pensoys que vous & moy n’eussions que ung cueur, une ame & une chair. Mais maintenant je congnois bien que vous me tenez pour une estrangière, veu que vos secretz, qui ne me doibvent estre cellez, vous les cachez comme à personne estrange. Helas, Monsieur, vous m’avez dict tant de choses grandes & secrettes, desquelles jamais n’avez entendu que j’en aye parlé, vous avez expérimenté ma volunté estre esgalle à la vostre, que vous ne povez doubter que je ne soys plus vous mesmes que moy. Et, si vous avez juré de ne dire à aultruy le secret du Gentil homme, en le me disant ne faillez à vostre serment, car je ne suys ny ne puis estre aultre que vous. Je vous ay en mon cueur, je vous tiens entre mes bras, j’ay ung enfant en mon ventre auquel vous vivez, & ne puis